«Il faut des carburants ­synthétiques à grande échelle»

Entretien avec Christian Bach

«Il faut des carburants ­synthétiques à grande échelle»

21 février 2023 agvs-upsa.ch – Tout le monde parle d’une « interdiction des moteurs thermiques » dans l’Union européenne. Mais est-il judicieux de tuer le moteur thermique d’ici 2035 ? Les carburants synthétiques sont-ils vraiment porteurs d’avenir ?


« L’électromobilité ne nous permettra pas d’atteindre les objectifs de CO2 à elle seule, pas plus que les carburants synthétiques à eux seuls. Il nous faut les deux », souligne Christian Bach, chef du Laboratoire Technologies de propulsion automobile à l’Empa. Photo : médias de l’UPSA


tpf. AUTOINSIDE pose ces questions à l’un des experts les plus renommés des propulsions alternatives. Christian Bach est chef du département Systèmes de propulsion automobiles au Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa), président du Forum d’étude suisse pour la technique de propulsion mobile (FTPM) et chargé de cours à l’EPF de Zurich et à la Haute école de Lucerne.

Monsieur Bach, quel sera le mix de propulsions 2035 d’après vous ? 
Christian Bach : En Suisse, une part importante d’électrique serait possible. La situation est moins claire dans une grande partie de l’Europe à cause de réseaux électriques parfois nettement moins performants. Une étude de l’Université de Genève et de BKW a montré en 2019 qu’il faudrait investir 11 milliards de francs rien qu’en Suisse pour moderniser les réseaux de distribution, pourtant déjà performants, les besoins d’amélioration étant plus importants ailleurs. Je pense donc que plusieurs propulsions seront disponibles dans toute l’Europe après 2035, même pour les voitures de tourisme, et de toute façon pour les utilitaires.

Alors comment expliquez-vous que les politiciens et l’industrie automobile misent principalement sur l’électrique ?
Compte tenu de l’expansion prévue de la production d’électricité à partir de sources renouvelables, il est judicieux et logique d’utiliser directement cette électricité. Les politiciens et les industriels ne se focalisent toutefois pas que sur l’électromobilité. Il existe de nombreux programmes concernant l’hydrogène et les carburants synthétiques ou biogènes. L’UE discute de taux de mélange ambitieux. 

A-t-on besoin de carburants synthétiques ou biogènes pour lutter contre le changement climatique ?
Selon les Perspectives énergétiques 2050+ de l’OFEN, la décarbonation du trafic routier en Suisse d’ici à 2050 nécessitera à peu près autant de carburants synthétiques que d’électricité renouvelable, soit 15 TWh par an ou 1,5 milliard de litres d’équivalent diesel, sans compter le transport aérien avec 15 à 20 TWh de plus. Les carburants synthétiques seront sans doute également indispensables à la décarbonation des procédés industriels à haute température, d’environ 20 TWh aujourd’hui. En conséquence, il faut des carburants synthétiques, à grande échelle ! Leur fabrication est inefficace, mais ils sont nécessaires, car le monde est confronté au problème du COet non pas à celui de l’énergie. Ils sont produits à partir d’hydrogène et de CO2. L’utilisation ne dégage que la quantité de COextraite de l’atmosphère utilisée pour sa production. La méthode de production de l’hydrogène est décisive. L’utilisation d’énergie renouvelable conduit à une forte réduction des émissions de CO2. Si l’hydrogène est produit à l’aide d’énergies fossiles, les déplacements seront eux aussi fossiles. Il en va de même pour l’électricité destinée à l’électromobilité.

Même si l’UE envisage d’exclure les carburants synthétiques en plus de l’utilisation de l’hydrogène, elle prévoit une interdiction de facto du moteur thermique d’ici à 2035. Est-elle sur la bonne voie ? 
Oui, si ce processus aboutit. Comme je l’ai dit, il est peu probable qu’une interdiction du moteur thermique soit pleinement applicable en Europe. Pour atteindre l’objectif de 2050, aucun véhicule utilisant de l’énergie fossile ne devra circuler à partir de 2035, compte tenu de la durée de vie moyenne de 15 ans. Le parc mondial de 1,4 milliard de véhicules à moteur doit s’affranchir des carburants fossiles. L’électromobilité ne nous permettra pas d’atteindre les objectifs de CO2 à elle seule, pas plus que les carburants synthétiques à eux seuls. Il faut les deux.

Les carburants non fossiles restent une niche coûteuse, rare et très énergivore. Est-il possible d’augmenter la production dans un délai raisonnable et sans dépenser trop d’énergie, compte tenu de la pénurie d’électricité ?
La mobilité basée sur les carburants synthétiques est à peu près aussi chère que l’électromobilité. Cela signifie que les carburants synthétiques pourraient être mis sur le marché avec les mêmes mesures, c’est-à-dire la prise en compte de la réduction des émissions de COet l’exonération de l’impôt sur les huiles minérales et de la RPLP pendant leur lancement. Tout est prêt sur le plan technologique et énergétique pour la production industrielle de carburants synthétiques, mais la sécurité des investissements n’est pas encore au rendez-vous. La situation change cependant du fait des exigences européennes en matière de taux de mélange. Nous supposons que les carburants synthétiques seront produits dans les régions ensoleillées du globe où le rayonnement solaire par mètre carré est multiplié par deux sur d’immenses friches.

Le diesel a-t-il encore un avenir et quel est le rôle du biogaz ?
Sans carburants renouvelables, les moteurs thermiques n’ont pas d’avenir, mais il existe des applications longue distance et de transport lourd qui ne pourront se passer du diesel pendant des décennies. Ces applications ne doivent pas rester fossiles si nous voulons atteindre les objectifs climatiques. Le biogaz est une ressource d’énergie plus complexe, mais souvent sous-estimée. Il n’y a pas de valorisation plus impressionnante que la conversion de déchets verts et de lisier en carburant. Le biogaz connaît actuellement un boom parmi les véhicules utilitaires, il est toutefois freiné par des réglementations RPLP rigides.

Vous êtes ingénieur automobile. Quelle est la motorisation de votre voiture et laquelle achèteriez-vous aujourd’hui ? 
Je conduis une voiture au biogaz et j’en rachèterais une sans hésiter. Le biogaz n’est que légèrement plus cher que l’essence ou le diesel. Les véhicules au biogaz sont parmi les véhicules les plus propres. Sans compter que j’aime me démarquer.
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